Des neurones et des muscles
Aujourd'hui, Lyon réunit tous les ingrédients pour être à la pointe dans la recherche sur les maladies dites neuromusculaires. Des maladies rares, mais qui pourraient détenir les clés de notre longévité. Éclairage avec Laurent Schaeffer, lauréat de l'appel à projet RHU 5.
Comment s’expriment nos gènes ? Cette question a animé Laurent Schaeffer (PUPH) dès ses débuts en tant que chercheur. « Dans le monde vivant, tout part des gènes » résume-t-il. Mais cette plongée dans les mécanismes fondamentaux du vivant l’a toujours ramené à des questions médicales. Peut-être pas un hasard avoue l’intéressé. Aujourd’hui PUPH à l’Université Claude Bernard Lyon 1, Laurent Schaeffer porte un projet de recherche hospitalo-universitaire dédié aux maladies neuromusculaires pédiatriques.
Les maladies neuromusculaires
Les maladies neuromusculaires constituent un ensemble de plus de deux cents maladies caractérisées principalement par un disfonctionnement du système locomoteur. Affectant les muscles ou le système nerveux les commandant, elles peuvent se manifester par une perte de force, des douleurs musculaires, des difficultés respiratoires et des dysfonctionnements d’organes, voire des paralysies dans les cas les plus graves.
En France, 30 000 personnes par an sont concernées par une maladie neuromusculaire, en faisant ce qu’on appelle une maladies rare – dont la prévalence reste faible au sein de la population. Pour autant, elles concernent l’enfant et l’adulte à toutes les tranches d’âge et dans certains cas, les personnes atteintes voient leur espérance de vie réduite drastiquement. Par ailleurs, si ces maladies restent rares, la recherche sur les maladies neuromusculaires nous concerne toutes et tous. C’est ce que soutient Laurent Schaeffer. Notre capacité à vivre vieux et en bonne santé, explique-t-il, est en partie liée à la qualité de notre système neuro-musculaire. Pour ce chercheur qui « aime garder un regard de côté », l’étude des maladies rares constitue donc un véritable enjeu de santé publique.
En effet, les scientifiques observent aujourd‘hui l’effet neuro-protecteur chez les individus dotés d’un bon système neuro-musculaire. Ces derniers font moins de diabète, moins de maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives.
Ce qui régule la capacité de notre système à fonctionner dépend des mêmes mécanismes observés dans les maladies neuromusculaires. Les maladies rares constituent de bons modèles, car lorsque l’on comprend le problème des patients, on a identifié quelque chose d’important dans le fonctionnement de l’organisme en général.
Du neurone au muscle
Comment alors faire le lien entre le muscle, les neurones et nos gènes ? Si les causes de ces maladies sont très diverses, la majeure partie de ces maladies reste d’origine génétique. Pourtant, elles affectent la motricité à différents niveaux de l’organisme. C’est l’intérêt des recherches menées au laboratoire Pathophysiologie et génétique du neurone et du muscle (PGNM et anciennement Institut neuromyogène) par Laurent Schaeffer et ses équipes sur les maladies neuromusculaires.
Les myopathies – comme la myopathie de Duchenne – atteignent directement la cellule musculaire ; d’autres maladies comme la sclérose latérale amyotrophique touchent les cellules nerveuses commandant les muscles (les motoneurones), au niveau du cortex moteur ou de la moelle épinière. Enfin, dans certains cas c’est la jonction neuromusculaire, la synapse faisant la liaison entre le nerf et le muscle, qui dysfonctionne (myasthénie).
Le laboratoire Pathophysiologie et génétique du neurone et du muscle (PGNM - Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/Inserm) réunit justement des spécialistes du neurone, de la jonction neuromusculaire et du muscle pour proposer des solutions thérapeutiques adaptées à chaque maladie neuro-musculaire. « Nos travaux se situent aussi bien au niveau de la cellule qu’au niveau de l’organe (muscle, moelle épinière, cerveau) et de la physiologie» précise Laurent Schaeffer.
Une approche transdisciplinaire nécessaire souligne-t-il, car du neurone jusqu’au muscle, tout est interconnecté.
« Même si certaines maladies ciblent plutôt le muscle, d’autres la jonction neuromusculaire ou les neurones, on ne peut pas dire qu’une seule région dysfonctionne. À terme, la maladie à des répercussions sur l’ensemble de l’organisme » résume-t-il.
Fibres musculaires (rouge) innervées par des motoneurones (vert) - © Laurent Schaeffer
un continuum de la recherche à l'essai clinique
Contrairement à nombre de ses pairs ayant le grade de PUPH, Laurent Schaeffer n’est pas médecin de formation. Il a obtenu le grade de PUPH dans une des disciplines mixtes que compte le milieu hospitalier ne nécessitant pas le diplôme de médecin (génétique, histologie, biologie et biochimie).
Son lien avec la médecine s’est construit au cours de son parcours de chercheur. C’est en développant les techniques d’analyse anatomopathologique des jonction neuro-musculaires dans les biopsies au sein du Centre de Biologie et de Pathologiques des Hospices civils de Lyon (CBPE) qu’il a commencé à tisser ses liens avec l’hôpital lyonnais. Cela l’amènera notamment à découvrir la bio-banque de cellules de patients des HCL – plus de 50 000 lignées de cellules conditionnées sous azote liquide –, un véritable trésor biologique hébergé au sein des HCL par le Centre de Biologie Cellulaire, dont il prend la direction en 2013 pour l’ouvrir à la recherche fondamentale.
Pour l’intéressé, que la routine terrifie, établir ce continuum de la recherche fondamentale jusqu’aux essais cliniques se présente aujourd’hui comme une évidence. Mais un autre constat s’est également imposé : « les médecins connaissent mal le fonctionnement de la recherche, et les chercheurs le fonctionnement de l’hôpital. Or, créer du lien, travailler ensemble et comprendre l’intérêt mutuel de la recherche et du milieu hospitalier, cela prend du temps » avoue-t-il.
De là l’idée de construire un réseau réunissant chercheurs et cliniciens travaillant sur les maladies neuromusculaires en région Auvergne - Rhône Alpes. C’est l’origine du projet MyoNeurALP, financé par l’AFM Téléthon (anciennement Association française pour la myopathie), créé en 2017 et renouvelé pour cinq ans en 2022. Le projet sélectionné à l’appel RHU 5 dédié à l’atrophie spinale en est une émanation.
Les maladies neuromusculaires pédiatriques, une spécificité lyonnaise
Pour Laurent Schaeffer, l’environnement hospitalo-universitaire lyonnais réunit toutes les compétences pour comprendre les mécanismes physiopathologiques des maladies neuromusculaires. Avec une spécificité particulière : la transition enfant-adulte.
Si les maladies neuromusculaires touchent toutes les tranches d’âges, une majorité des cas restent des maladies pédiatriques. Jusqu’à récemment, de nombreux enfants atteints, par exemple d’amyotrophie spinale ou de la myopathie de Duchenne, n’atteignaient pas l’âge adulte . Les progrès de la médecine permettent aujourd’hui à ces enfants de vivre beaucoup plus longtemps, ce qui implique pour la prise en charge hospitalière d’assurer la transition de la pédiatrie à la médecine de l’adulte. « Un vrai challenge en France, et une opportunité pour l’hopital Lyonnais » confie Laurent Schaeffer.
Une chance rendue possible par l’unité géographique remarquable sur le groupement hospitalier est. L’un des seuls endroits regroupant dans un même lieu la réhabilitation pédiatrique et bientôt adulte, la neuropédiatrie et la prise en charge des maladies neuromusculaires de l’adulte, la réanimation enfant et adulte, la génétique et la biologie, avec de surcroit des interactions constructives entre services, confie le chercheur.
« Toutes les compétences hospitalières impliquées dans le diagnostic et la prise en charge des maladies de l’appareil locomoteur sont réunies sur le site hospitalier Est de Lyon. En particulier grâce à l’engagement du Pr Carole Vuillerot, cheffe du service de réhabilitation pédiatrique, qui a été un vrai moteur dans la construction du RHU, l’étape suivante serait de construire à Lyon une plateforme de recherche et d’essais cliniques enfants-adultes pour les maladies du système locomoteur» ponctue Laurent Schaeffer.
En bref : les maladies neuromusculaires
- Il existe plus de deux cent maladies neuromusculaires.
- Elles peuvent concerner l’enfant et l’adulte à tout âge
- La plupart des maladies neuromusculaires sont d’origine génétique, mais il existe d’autres causes (perturbation du système endocrinien, dysfonctionnement du système immunitaire…)
- Ces maladies peuvent entraîner une perte de la fonction motrice, respiratoire, cardiaque…
- Une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’une personne sur 2000.
un article par Matthieu Martin/Direction de la recherche et des écoles doctorales