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Pollution sonore : le bruit des avions affecte notre santé

Une vaste étude épidémiologique menée au Laboratoire UMRESTTE met en relation l’effet du bruit des avions et la santé des riverains qui vivent à proximité des aéroports ou des couloirs aériens. Composante discrète dans les actions contre la pollution en ville, la pollution sonore liée au trafic aérien se révèle à travers cette recherche comme un symptôme d’une qualité de vie dégradée dans les milieux urbains.


Article du dossier Ville demain, une nouvelle biodiver-Cité ?, publié sur Sciences pour tous




Parmi les nombreux effets du confinement, il en est un qui a surpris, agréablement, plus d’un citadin. Le calme qui régnait en ville. Pour beaucoup, nos villes sont aujourd’hui trop bruyantes. Les nuisances sonores constituent d’ailleurs une préoccupation croissante des habitants. Et en premier lieu, celles des transports. Pour 54 % des Français, le bruit des transports est la principale source de nuisances, révèle un rapport de l’ADEME sur le coût social du bruit en France.

Dans ce brouhaha constant, la recherche scientifique tâche d’identifier les effets de ces nuisances sonores sur les populations, avec des effets sur la santé de plus en plus documentés ces dernières années. Aujourd’hui, l’OMS reconnaît comme avérés quatre effets de l’exposition au bruit des transports sur la santé : les perturbations du sommeil, la gêne due au bruit, une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, et un retard sur les apprentissages chez les enfants. D’autres effets sont également explorés par la recherche depuis quelques années, comme les effets sur le système endocrinien ou le système métabolique (risques d’obésité et de diabète de type II) ; sur le risque de cancers ; ou encore des effets comportementaux (irritabilité, perception dégradée que les individus ont de leur santé). La problématique peut sembler mineure, en comparaison d’autres enjeux comme la pollution de l’air, ou le réchauffement climatique, mais le coût social lié à la pollution sonore est en réalité loin d’être négligeable (estimé à plus de 147 milliards d’euros par an selon l’ADEME).

En France, les conséquences de l’exposition au bruit des transports restent cependant insuffisamment évaluées. En particulier en ce qui concerne le trafic aérien. Dans une enquête nationale menée par l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité en 2005, environ 7% de la population française se déclarait gênée par le bruit des avions. « Un constat qui doit nous faire relativiser les discours souvent mis en avant par les compagnies sur l’amélioration des technologies en matière d’acoustique », avance Fanny Mietlicki, directrice de l’association BruitParif. Les nuisances sonores font d’ailleurs régulièrement partie des arguments des riverains opposés aux projets d’extension des aéroports. Anne-Sophie Evrard, chargée de recherche à Unité Mixte de Recherche Epidémiologique et de Surveillance Transport Travail Environnement (UMRESTTE - Université Gustave Eiffel/Université Claude Bernard Lyon 1), coordonne justement depuis 2009 un vaste programme de recherche épidémiologique qui permet de mieux connaître et de mieux quantifier les effets de l’exposition au bruit des avions sur la santé des riverains des aéroports français.
 

Le projet DEBATS : évaluer les effets du bruit des avions sur la santé des riverains des aéroports

Le programme de recherche DEBATS, conduit dans les communes situées à proximité des aéroports Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac, est la première étude en France à évaluer l’effet du bruit des avions sur la santé des riverains. Ses résultats confirment les nombreuses associations entre l’exposition au bruit des avions et les effets néfastes pour la santé déjà avancées dans la littérature internationale.
 

 Les résultats de cette étude corroborent l’hypothèse que l’exposition au bruit des avions serait un stresseur, ce qui pourrait expliquer l’association observée entre exposition au bruit et effets délétères sur la santé


Il ressort de l’étude écologique que les communes les plus exposées au bruit des avions enregistrent une plus forte mortalité par maladies cardiovasculaires, notamment, par infarctus du myocarde. Cependant, les résultats de ce type d’étude ne peuvent pas être extrapolés au niveau individuel et doivent être confirmés par des études individuelles. L’étude longitudinale montre que plus les participants sont exposés au bruit des avions, plus ils se déclarent gênés par ce bruit. L’association entre l’exposition au bruit des avions et une dégradation de la qualité du sommeil déclarée par les participants est également confirmée. La sécrétion du cortisol, une hormone marqueur des états de stress, est également affectée. « Les résultats de cette étude corroborent l’hypothèse que l’exposition au bruit des avions serait un stresseur, ce qui pourrait expliquer l’association observée entre exposition au bruit et effets délétères sur la santé », résume Anne-Sophie Evrard. Enfin, l’étude sommeil montre que plus l’exposition au bruit des avions augmente, plus les paramètres objectifs du sommeil s’en trouvent dégradés.

 

La pollution sonore, symptôme d’une qualité de vie dégradée ?

Pour autant, l’exposition au bruit n’est pas le seul facteur à prendre en compte quand on s’intéresse à la gêne due au bruit, reconnaît la chercheuse. Cette dernière est un phénomène complexe, qui ne se limite pas au niveau sonore subi. Ce dernier n’expliquerait en fait qu’une partie de la gêne. Il existe d’autres facteurs non acoustiques à prendre en compte. Certains sont individuels comme les facteurs démographiques et socio-économiques, la satisfaction résidentielle, les attitudes vis-à-vis de la source de bruit, les activités perturbées, la capacité à faire face au bruit, la confiance envers les autorités compétentes et la sensibilité au bruit. D’autres sont plus contextuels et relèvent d’une dimension territoriale et d’un contexte local. La gêne exprimée par les riverains ne s’associe donc pas seulement aux décibels émis mais renvoie également à des conditions vie. L’étude des nuisances sonores est révélatrice d’un contexte social qui a pu évoluer ces dernières décennies dans le sens du développement du trafic aérien, au prix, chez les riverains, d’un sentiment de négligence, voire de mépris. Un constat qui freine aussi les réglementations, souligne Fanny Mietlicki : « aujourd’hui, l’Europe peine encore à harmoniser les réglementations en matière de valeurs limites d’exposition au bruit des transports, mettant en avant la composante subjective de la perception du bruit, liée aux différences culturelles entre les États membres ».
 

 L’étude des nuisances sonores est révélatrice d’un contexte social qui a pu évoluer ces dernières décennies dans le sens du développement du trafic aérien, au prix, chez les riverains, d’un sentiment de négligence, voire de mépris


Encore discrète dans les débats sur les pollutions en ville, la pollution sonore est donc un front à ne pas négliger et vient se superposer aux problématiques de mauvaise qualité de l’air, d’îlots de chaleur, de pollution lumineuse. Anne-Sophie Evrard plaide justement pour la prise en compte de l’ensemble de ces pollutions dans les politiques publiques mises en place, mais aussi au sein des communautés scientifiques. Toujours est-il que le constat reste le même : un changement de nos modes de transports, et de nos modes de vie, apparaît nécessaire pour conserver une bonne qualité de vie en ville.

 

Qu'en est-il des impacts sur la biodiversité ?

En s’appuyant sur des cartes de bruits établies par l’association Acoucité, des chercheurs du Laboratoire Aménagement, économie et transports (LAET), laboratoire membre de la fédération de recherche BIOEENVIS de l'Université Lyon 1, que les variations des niveaux sonores générés par les infrastructures de transports sont corrélées aux variations de présence des oiseaux. Autrement dit, lorsqu’on enregistre une baisse des niveaux sonores, la présence d’oiseaux est accrue et là où les variations augmentent le plus, la présence des oiseaux diminue.



[ Sciences pour tous ]
Publié le 3 octobre 2023